Voici ce qui était prévu ce jour: travailler le commentaire de texte.
Lisez au moins deux fois ce texte. Etudiez le. ( 20 mn)
Avant de lire le commentaire, notez vos impressions et les éléments d'analyse que vous avez repérés. (20 mn)
Étudiez très sérieusement le commentaire de ce texte. Préparez-vous une fiche pour conserver l'essentiel de l'analyse dans votre classeur. ( 1H)
Alfred de Musset, Les Caprices de Marianne, 1833
Texte 2 : Acte II scène première
OCTAVE.
Belle Marianne, vous dormirez tranquillement. Le cœur de Coelio est à une autre, et ce n'est plus sous vos fenêtres qu'il donnera ses sérénades.
MARIANNE.
Quel dommage ! Et quel grand malheur de n'avoir pu partager un amour comme celui-là ! Voyez ! Comme le hasard me contrarie ! Moi qui allais l'aimer.
OCTAVE.
En vérité ?
MARIANNE.
Oui, sur mon âme, ce soir ou demain matin, dimanche au plus tard, je lui appartenais. Qui pourrait ne pas réussir avec un ambassadeur tel que vous ? Il faut croire que sa passion pour moi était quelque chose comme du chinois ou de l'arabe, puisqu'il lui fallait un interprète, et qu'elle ne pouvait s'expliquer toute seule.
OCTAVE.
Raillez, raillez ! Nous ne vous craignons plus.
MARIANNE.
Ou peut-être que cet amour n'était encore qu'un pauvre enfant à la mamelle, et vous, comme une sage nourrice, en le menant à la lisière, vous l'aurez laissé tomber la tête la première en le promenant par la ville.
OCTAVE.
La sage nourrice s'est contentée de lui faire boire d'un certain lait que la vôtre vous a versé sans doute, et généreusement ; vous en avez encore sur les lèvres une goutte qui se mêle à toutes vos paroles.
MARIANNE.
Comment s'appelle ce lait merveilleux ?
OCTAVE.
L'indifférence. Vous ne pouvez ni aimer ni haïr, et vous êtes comme les roses du Bengale, Marianne, sans épine et sans parfum.
MARIANNE.
Bien dit. Aviez-vous préparé d'avance cette comparaison ? Si vous ne brûlez pas le brouillon de vos harangues, donnez-le-moi de grâce, que je les apprenne à ma perruche.
OCTAVE.
Qu'y trouvez-vous qui puisse vous blesser ? Une fleur sans parfum n'en est pas moins belle ; bien au contraire, ce sont les plus belles que Dieu a faites ainsi ; et le jour où, comme une Galatée d'une nouvelle espèce, vous deviendrez de marbre au fond de quelque église, ce sera une charmante statue que vous ferez, et qui ne laissera pas que de trouver quelque niche respectable dans un confessionnal.
MARIANNE.
Mon cher cousin, est-ce que vous ne plaignez pas le sort des femmes ? Voyez un peu ce qui m'arrive. Il est décrété par le sort que Coelio m'aime, ou qu'il croit m'aimer, lequel Coelio le dit à ses amis, lesquels amis décrètent à leur tour que, sous peine de mort, je serai sa maîtresse. La jeunesse napolitaine daigne m'envoyer en votre personne un digne représentant, chargé de me faire savoir que j'aie à aimer ledit seigneur Coelio d'ici à une huitaine de jours. Pesez cela, je vous en prie. Si je me rends, que dira-t-on de moi ? N'est-ce pas une femme bien abjecte que celle qui obéit à point nommé, à l'heure convenue, à une pareille proposition ? Ne va-t-on pas la déchirer à belles dents, la montrer au doigt, et faire de son nom le refrain d'une chanson à boire ? Si elle refuse au contraire, est-il un monstre qui lui soit comparable ? Est-il une statue plus froide qu'elle, et l'homme qui lui parle, qui ose l'arrêter en place publique son livre de messe à la main, n'a-t-il pas le droit de lui dire : Vous êtes une rose du Bengale, sans épine et sans parfum ?
OCTAVE.
Cousine, cousine, ne vous fâchez pas.
MARIANNE.
N'est-ce pas une chose bien ridicule que l'honnêteté et la foi jurée ? Que l'éducation d'une fille, la fierté d'un cœur qui s'est figuré qu'il vaut quelque chose, et qu'avant de jeter au vent la poussière de sa fleur chérie, il faut que le calice en soit baigné de larmes, épanoui par quelques rayons de soleil, entr'ouvert par une main délicate ? Tout cela n'est-il pas un rêve, une bulle de savon que le premier soupir d'un cavalier à la mode doit évaporer dans les airs ?
OCTAVE.
Vous vous méprenez sur mon compte et sur celui de Coelio.
MARIANNE.
Qu'est-ce après tout qu'une femme ? L'occupation d'un moment, une coupe fragile qui renferme une goutte de rosée, qu'on porte à ses lèvres et qu'on jette par-dessus son épaule. Une femme ! C'est une partie de plaisir ! Ne pourrait-on pas dire quand on en rencontre une : Voilà une belle nuit qui passe ? Et ne serait-ce pas un grand écolier en de telles matières que celui qui baisserait les yeux devant elle, qui se dirait tout bas : « Voilà peut-être le bonheur d'une vie entière, » et qui la laisserait passer ?
Elle sort.
OCTAVE, seul.
Tra, tra, poum ! Poum ! Traderila la. Quelle drôle de petite femme ! Hai !
Il frappe à une auberge.
Holà ! Apportez-moi ici, sous cette tonnelle, une bouteille de quelque chose.
Octave a déjà été éconduit par Marianne alors qu’il se faisait l’interprète de Coelio. Il fait alors une deuxième tentative au moment où elle se rend à l’église.
Dialogue polémique qui correspond au discours judiciaire définit par Aristote : Accuser et défendre. C’est un conflit de force.
Nouvelle stratégie d’Octave : il pique la jalousie de Marianne : Coelio ne l’aime plus. L’effet est raté. Marianne ironise.
I La confrontations des deux personnages : les accusations
L’ironie cinglante de Marianne
La feinte des regrets. Discours antiphrastique.
La métaphore filée du petit enfant. Elle se moque d’Octave comparé à une « sage nourrice ».
Les accusations de Marianne : les libertins méprisent les femmes : deux formes de déshonneur : la femme facile et le monstre de froideur.
Le procès de l’attitude cynique des jeunes libertins : la femme est condamnée quelle que soit son attitude.
Marianne dénonce l’impudence d’Octave : il la détourne de ses devoirs religieux. Cela n’a rien de sacré pour lui.
Octave, l’ambassadeur, accuse Marianne d’insensibilité.
Il assume son rôle d’ambassadeur comme le prouve l’emploi du « nous » utilisé communément par les avocats pour faire corps avec leur client et sa cause. « nous ne vous craignons pas ».
La femme est soit une statue : « Galatée » qui devient une stèle funéraire, une dévote soit elle se place hors de la nature : « rose sans parfum ».
II Le plaidoyer de Marianne en faveur de la condition féminine et sa conception de l’amour.
Opposition à la conception d’Octave : ne pas aimer, c’est ne pas vivre. Métaphore de la statue de marbre.
a) La défense du « sort des femmes ».
Analyse de l’argumentation de Marianne des lignes 28 à 40
Captatio benevolentiae: déférence feinte « Mon cher cousin »
La narration : forme impersonnelle qui dénonce le pouvoir des conventions ou des mœurs des libertins.
Pastiche de la terminologie judiciaire : « il est décrété… lequel Coelio…ledit seigneur » : elle est encore la femme de Claudio.
Périphrase ironique : « la jeunesse napolitaine » pour Coelio, Octave et les libertins.
Dénonciation de l’enchainement fatal avec la reprise de « amis ».
Hyperbole « sous peine de mort » caractère impérieux d’aimer qui n’est pas sans faire penser à son mariage avec Claudio.
La confirmation : questions rhétoriques qui fustigent l’attitude et les préjugés des libertins. Elle souligne l’indignité de la conduite d’Octave. Sa vie de Dom Juan épicurien est dénoncée par « le refrain d’une chanson à boire ».
Péroraison : reprise ironique de la métaphore d’Octave.
La conception de l’amour de Marianne :
Ironie de Marianne l42 : question rhétorique ironique
Les valeurs morales : « honnêteté », « un cœur qui vaut quelque chose » et les sentiments : « bonheur ».
Paradoxe : on lui a imposé Claudio.
Ce passage, osé en 1833, est une envolée lyrique qui par le jeu des métaphores : « fleur chérie » souligne la passion et l’exaltation de Marianne en évoquant le besoin qu’on lui dise sa valeur, qu’on implore avec délicatesse son cœur et que cette cour assidue soit pour elle un bonheur.
Elle file la métaphore de la fleur employée par Octave et joue sur les connotations sexuelles : elle souhaite que « son calice baigné de larmes » puisse « s’épanouir » et « s’entrouvrir par une main délicate ».
c) La victoire de Marianne : Octave ne formule que des négations. Répliques brèves. Marianne écrase l’entretien de son éloquence. Elle l’humilie en sortant sans qu’il puisse répliquer. Il est transformé en pantin ridicule et l’humour et l’alcool sont ses seules échappatoires.
III Un duel qui ressemble aussi à un duo.
a) Marianne révèle une inclination pour Octave
Elle réagit aussi vivement bien qu’elle aille à la messe parce qu’elle n’est pas indifférente à Octave.
On pressent une louange dans sa question oratoire : « Qui pourrait ne pas réussir avec un ambassadeur tel que vous ? ». Son ironie cache mal son sentiment.
De même, elle semblait rebutée par la jeunesse excessive de Coelio « enfant à la mamelle » tandis qu’elle apprécie la maturité pleine d’expérience d’Octave assimilé à la « sage-nourrice ».
b) Octave admet implicitement la beauté de Marianne
Octave laisse trainer dans son discours des marques louangeuses de sa beauté :
La comparaison avec la rose est d’abord flatteuse et évoque une invitation épicurienne à la manière de Ronsard. Il faut cueillir Marianne qui est jeune et belle.
La référence à Galatée est un aveu raffiné à l’amour ou au moins à l’affection et l’admiration qu’Octave porte à Marianne. (Dans la mythologie, cette statue d’ivoire était si parfaite que son sculpteur Pygmalion en tomba amoureux. Vénus, touchée par cet amour sincère, donna vie à la statue et présida au mariage elle-même.)
On constate une pudeur authentique de la part des deux jeunes gens.
Conclusion : bilan
Ouverture : Marianne est un agent du destin tragique.
Il semble que Marianne se trompe d’interlocuteur : elle qui attend : « ce grand écolier qui baisserait les yeux devant elle, qui se dirait tout bas » (…) « voilà peut-être le bonheur d’une vie entière », elle refuse justement Coelio qui incarne toutes ces exigences et à contrario, elle est séduite par le libertin ! Musset veut-il nous dire qu’il n’existe pas de communication amoureuse et qu’on se trompe toujours dans ses désirs comme dans ses amours ? Marianne ne chercherait-elle pas quelque amour libertin, secret inavouable pour une femme mariée ? Perçoit-elle la fibre sensible de l’idéaliste déçu qui pourrait être heureux avec elle ?
Pour aller plus loin:
Les cinq parties de la rhétorique antique
Les traités de l’orateur divisent les tâches de l’orateur en cinq étapes.
-L’invention : c’est la recherche des idées et des arguments.
-La disposition : c’est l’art d’ordonner, d’assembler selon un plan le discours.
Le discours antique était très codifié. L’orateur respecte cinq étapes :
L’exorde : c’est l’introduction. Il faut capter l’attention. C’est la captatio benevolentiae (requête de la bienveillance).
La narration : c’est l’exposé des faits nécessitant de la part de l’orateur des talents de narration et de description.
La confirmation : c’est l’énoncé des arguments et des preuves. Cicéron préconise de commencer par les arguments décisifs.
La digression : Elle doit distraire l’auditoire. C’est une parenthèse qui joue sur les émotions tantôt en amusant tantôt en provoquant l’indignation ou la pitié. Elle s’écarte du sujet stricto sensu.
La péroraison : c’est le morceau de bravoure final où l’orateur mise sur le passionnel.
-L’élocution : le terme ici est trompeur : ce sont les techniques relatives à l’écriture des discours, c’est l’étude du style, des ornements et des procédés esthétiques.
-L’action : c’est l’ensemble des techniques orales : travail de la voix, attitudes corporelles.
-La mémoire est la mémorisation du discours.